A l’aube d’une probable récession de la France, notre économie et notre société viennent d’entrer dans une phase décisive de leur évolution.

La réduction des déficits publics et le redressement industriel, seuls, ne suffiront pas à changer de perspective. Le troisième facteur, le plus important, ou en tout cas le plus fondamental se situe en effet au niveau du rapport reliant les patrons à leurs salariés et il est bien mis à mal ces derniers temps.

Les efforts, multiples et louables consentis ces dernières semaines pour rendre ses lettres de noblesse à l’Entreprise, plus particulièrement dans le secteur industriel, et à ses dirigeants qu’ils soient entrepreneurs ou non, va créer des effets d’expansion très modérée car pour autant nous n’assistons à aucune évolution solidaire et responsable des rapports humains alors que les circonstances ne l’ont jamais autant exigée.

Les personnels, collaborateurs et autres salariés doivent pouvoir bénéficier également de cette reconnaissance publique, en étant mieux associés aux décisions stratégiques, tout en étant davantage confortés dans des organisations qui exigent toujours plus d’efforts de leur part. Ce lien social qui n’est pas devenu indispensable qu’au sein des entreprises, induit une notion de responsabilité et une forme de solidarité jusqu’à présent souvent exclusivement dédiées à l’économie sociale.

Créer des entreprises, pour satisfaire au besoin de croissance, oui mais pour quel modèle économique et quel modèle de société ?

Toutes les sociétés humaines connaissent la réciprocité. Celle-ci serait une forme ancienne de l’échange, et bien-entendu l’échange économique porté par les entreprises en serait la forme la plus évoluée. Nombre d’expériences et de recherches actuelles (économie solidaire, plurielle, autonome, non monétaire, parallèle, souterraine, communautaire, alternative, etc) rencontrent la même difficulté, exprimée par l’ambivalence entre les relations capables de créer du lien social et dont les incidences économiques sont indéniables, et les actes à caractère économique ou marchand accusés de détruire ce lien.

Si l’échange généré par l’entreprise (création d’emplois, contrats, prestations, productions diverses), exige une forme de réciprocité en ce qu’il satisfait l’intérêt de chacune des parties prenantes, la réciprocité implique un champ plus important et plus impliquant : le souci de l’autre et cela afin d’établir du mana, c’est-à-dire des valeurs affectives, telles que la paix, le respect, la confiance, la bienveillance, et la compréhension.

Dans un environnement international de plus en plus compétitif, la capacité d’adaptation, la réactivité et l’inventivité deviennent décisives. En même temps notre monde a besoin de plus d’intelligence collective, de plus de volonté à partager, et à coexister
Nous sommes donc entrés dans l’indispensable ère de la réciprocité qui est la seule garante d’un modèle tangible pour l’avenir.

Les autorités et les média ont pris conscience de l’importance de la reconnaissance due aux entreprises et à leurs dirigeants pour ce qu’ils sont et ce qu’ils valent dans nos systèmes économiques. Leurs incitations à la création d’entreprise en général et leur zèle à convaincre les jeunes générations en particulier, de la vertu de cet engagement font plaisir à voir et à entendre. Mais dans les argumentations développées, il n’est question que de création de valeur, de marchés et de richesses, ce qui est bien-entendu parfaitement nécessaire, mais insuffisant.

Il serait donc encore meilleur et surtout plus juste d’affirmer que grâce aux femmes et aux hommes qui y travaillent, l’entreprise est aussi le lieu où les sentiments, l’intuition, le brassage des idées, la réflexion, le combat, le plaisir, le rire et parfois les larmes ont leur place, et qu’elle représente l’une des dernières grandes aventures collectives.

Si devenir entrepreneur, c’est prendre son existence en charge, devenir chef d’entreprise c’est prendre aussi la responsabilité de celle de ses salariés à son compte.

Le choc de compétitivité, ne sera donc pas seulement une affaire de finances publiques et de redressement économique, mais aussi d’intelligence des situations humaines et de goût pour les autres.

Sans doute beaucoup moins spectaculaire, mais tout aussi difficile et passionnant !