Tribune publiée par Les Echos
Le débat pré-électoral, qui se déroule dans un contexte de crise de confiance des électeurs envers les institutions, partis et représentants politiques, appelle un meilleur usage de la communication politique. Mais celle-ci ne saurait masquer l’absence de vision et de stratégie, indispensables à l’exercice du pouvoir.

 

Treize nuances de gris… que ce soit par le nombre de candidats engagés, la difficulté de la mise en oeuvre de leurs propositions, ou par leur absence de maitrise de la communication politique, la campagne présidentielle de 2017 n’a certes rien de la romance érotique presque éponyme, ce qui est dommage, car le cas échéant, elle aurait peut-être ainsi le mérite de relancer l’attention de l’électorat français pour les candidats en lice à la Présidentielle française.

Si l’intérêt des Français pour la politique reste constant, s’ils affichent aussi beaucoup de curiosité pour le débat public et le vote aux élections, ils n’ont en effet jamais été aussi défiants à l’égard de leurs dirigeants, de leurs partis et des grandes institutions.

Sur le fond, personne ne conteste le fait que l’aptitude du pouvoir des urnes à ouvrir des voies nouvelles et à trancher les questions conflictuelles est désormais à l’ordre du jour. Le débat pré-électoral est censé permettre depuis des mois un diagnostic juste et pertinent pour déterminer les questions essentielles dans une période politiquement et économiquement trouble, tout en apportant un panel de réformes, réalistes et dures pour certaines, en tous cas stables et pour une fois pérennes, concernant l’ensemble d’entre elles, le tout porté par un (e) champion(ne) dans le(a)quel(le) les citoyens placent leurs espérances.

Tout cela n’est évidemment pas très attractif et l’on sent bien dans ces circonstances moroses que les Français se rapprochent de personnalités hautes en couleur qui auraient vocation à faire passer la pilule avec davantage d’optimisme que d’autres.

Pour en revenir aux programmes de presque tous les candidats, force est de reconnaitre qu’en raison des circonstances incertaines, la couleur grise convient assez bien aux perspectives qu’ils présentent, mais également, et c’est plus grave, à la mise en scène de leurs campagnes, peu engageantes pour ne pas dire ternes, et assez hasardeuses en matière de communication politique, n’incitant pas les citoyens à faire montre d’enthousiasme envers leurs candidatures. À l’exception d’une seule, qui fait habilement prévaloir jusqu’à présent la forme sur le fond, avec le succès que l’on connait.

Toutefois, l’erreur est double : vouloir effectuer une analogie entre la dureté des temps présents et à venir, et le ton et les modes de communication utilisés constitue une erreur de la part de certains candidats équivalant à un tue-l’amour pour les citoyens.

Ce n’est pas parce que l’ivresse ne sera pas au rendez-vous, loin s’en faudra, que les flacons, autrement dit les candidats vers lesquels se portent certains espoirs, doivent se sentir obligés de respirer la cigüe mortifère au lieu d’un alcool fort, voire décapant pour les besoins de la cause, mais qui en même temps détient des vertus rassérénantes, stimulantes et nécessaires en prévision des épreuves à venir ! L’image du flacon et la promesse de ses bienfaits importent ainsi plus que jamais dans le cas présent, car de fait, on ne pourra pas goûter l’effet de son contenu avant de l’avoir acheté et surtout… consommé.

Parce que nous traversons, et sans doute pour plusieurs années encore, une période transitoire très difficile, qui s’apparente à plusieurs guerres livrées sur de multiples territoires, économique, bien sûr, mais aussi social, sociétal et plus que jamais diplomatique et géopolitique, penser que l’on pourra convaincre seulement à l’aide des idées les plus novatrices, et d’un programme, aussi sérieux et pertinent soit-il, en l’absence de la moindre scénarisation individuelle et collective relève de la gageure la plus totale, et de l’absence de maitrise des codes de communication politique les plus élémentaires.

A contrario de cette erreur, il en est une autre, non moins grande, qui consiste à penser convaincre les foules au moment crucial du vote, juste sur la foi d’une mise en scène et d’un marketing organisés depuis des mois dans les règles de l’art du show-business, mais sans expérience ni stratégie. Pure fantasmagorie ! Lorsque l’on veut mener un peuple à la guerre il faut savoir le conduire là où nécessité fait loi, ce qui n’est pas forcément compatible avec une immense séduction ni avec des discours incantatoires, mais davantage avec un minimum de propositions tangibles, les plus argumentées possible et d’une justesse de ton qui n’exclut en rien le charme.

Ces deux erreurs de posture se révèlent particulièrement criantes à une époque où il est devenu très complexe de se réapproprier la psychologie des foules qui permettra le moment venu de demander à la population un effort exceptionnel.

Cela revient-il à dire que la campagne présidentielle française à l’instar de celle des États-Unis, sera réduite à une question de communication et de marketing pour vendre le prophète qui paraitra le plus inspirant aux Français en pleine période de retournement inédite ? Il semblerait que ce soit en effet le cas. C’est dire combien le marketing personnel et la perception de la personnalité des candidats seront majeurs lors de cette élection. En communication politique comme en publicité, le marketing personnel, autrement dit, la promesse et la forme de la communication de chacun des candidats doit de fait être irrésistible et sans appel vis-à-vis de la concurrence.

Enfin, et au-delà de la qualité des programmes, au demeurant très inégale, lorsqu’ils existent, il devient essentiel à un moment donné de faire valoir par une habile théâtralisation, ni trop grandiloquente ni trop discrète, la véritable finalité du combat. Alors que nous sommes à un moment crucial de l’Histoire de notre pays, de l’avenir de l’Union européenne et du monde, de quoi la France a-t-elle besoin si ce n’est justement d’un chef de guerre et de ses qualités prioritaires : le sens du commandement, la perspicacité, l’impartialité, l’humanité et la résolution, mais aussi à l’ère de la surcommunication, l’humour et la séduction.

Que le candidat soit impulsif ou calculateur, l’issue de son action nécessitera qu’il se montre génial dans ses intuitions et qu’il donne le sentiment que son coup d’oeil dépasse celui des autres, tout en laissant la place aux remontées du terrain, autrement dit à la voix de la société civile. Surtout, il est indispensable que sa communication fasse oublier que dans le contexte actuel, le candidat ne pourra de toute manière prendre des décisions que dans la plus totale incertitude de leur réussite future.

Alors, autant donner à sa communication les plus belles couleurs de celles qui peuvent rallier et fédérer au lieu d’exhorter les citoyens de la manière la plus nivelée et donc la plus pâle, afin de tenter de ne commettre aucune erreur.