C’est une évidence : pour faire face aux secousses liées à la crise, nos systèmes économiques doivent trouver de nouvelles perspectives, et repenser leurs modes de fonctionnement. En France, il est à espérer que nos moyennes entreprises, qui représentent actuellement 99,7% du tissu conjonctif économique français, trouveront les solutions qui leur permettront de continuer à se développer. Et dans le cadre d’une crise mondiale, il est certain que cette solution ne peut s’appuyer que sur le cadre réglementaire et économique mis en place au niveau européen. Les récentes décisions de l’Eurogroupe en la matière le démontrent.

En effet, la solution aux problèmes économiques actuels, engendrés par une crise financière globalisée venue des Etats-Unis, ne peut s’envisager à l’aune des tentations de replis nationaux de certains Etats. Elle démontre au contraire le besoin réel de « plus d’Europe », comme l’a récemment rappelé le Commissaire Barnier, qui demeure un levier essentiel pour les entreprises. Plus de 60% des exportations françaises sont destinées à l’Europe, dont 48% vers la zone euro. Pour profiter pleinement des opportunités offertes par le marché intérieur, les entreprises françaises doivent cependant changer de mentalité.

Or la réalité économique qui est la nôtre est très mal appréhendée par nos chefs d’entreprises, qui font preuve d’une alarmante méconnaissance de ce que l’Europe peut leur apporter : 9 entrepreneurs sur 10 disent mal connaître les mécanismes de soutien, de négociation ou de financement qui s’adressent directement à eux[1]. Seuls 5% d’entre eux, hors grands groupes internationaux, sont directement ou indirectement représentés à Bruxelles, auprès des autorités communautaires. Cette ignorance et cette absence d’implication peuvent s’expliquer par le sentiment, partagé par deux entrepreneurs sur trois, que les institutions européennes soutiennent insuffisamment les entreprises françaises pour faire face aux mutations industrielles et économiques – en dépit de l’ensemble des projets engagés par la Commission européenne au cours des quinze dernières années, au travers des initiatives dela DG Entreprises, ou plus récemment, grâce au Small Business Act.

Paradoxalement, nos chefs d’entreprises demeurent constructifs : s’ils estiment être mal soutenus par les institutions européennes, les dirigeants d’entreprises françaises leur reconnaissent unanimement des bienfaits.

D’où vient ce paradoxe, et comment tirer parti des volontés qui émergent de travailler ensemble ? Nous assistons de plus en plus à l’élargissement du fossé qui s’est creusé depuis plusieurs années, entre le bloc institutionnel communautaire, arc-bouté dans des perspectives macroéconomiques, et des entreprises dont les préoccupations s’ancrent dans le terrain, les ventes, et les retours de leurs clients. Chaque parti partage les mêmes objectifs de développement, mais aucun ne parvient à entendre réellement le discours de l’autre. Et on assiste alors à un véritable dialogue de sourds. Dans le cas de nombreux dossiers, il est vrai que l’Europe a un langage que seuls les initiés peuvent comprendre … mais au niveau national, les reproches sont souvent formulés dans le seul réflexe de défense ou de colère, sans effort honnête de compréhension, et restent flous et imprécis.

Pour aider les entreprises à mieux doper leur compétitivité, grâce et au travers de l’Union européenne, il faut aujourd’hui penser l’Europe autrement, et la penser mieux. C’est avant tout une question de communication, et d’approche pédagogique fondamentale : pour faire comprendre les enjeux à un partenaire, il faut par exemple se placer dans sa perspective, et venir sur son terrain. L’Europe devrait plus convier les entreprises à venir fouler le sol bruxellois (certains ignorent encore qu’il est seulement à 1H20 de Paris, grâce au Thalys), de la même manière que les fonctionnaires européens devraient plus régulièrement partager le quotidien de chefs d’entreprises, et même de ceux dont les enjeux de développement ne dépassent pas les frontières dela région Centre…

Car tout est une question de point de vue : tandis que les institutions européennes conçoivent des politiques et des dispositifs spécifiquement dédiés aux entreprises européennes, les entrepreneurs français s’estiment mal écoutés et peu entendus par elles. Les uns comme les autres peuvent paraître légitimes dans leurs raisonnements. Mais cela serait faire peu de cas de la philosophie initiale de Robert Schuman, qui mettait en avant la nécessité de construire l’Europe sur des réalités concrètes, et une solidarité de fait. Si la Commission doit se trouver un sens nouveau, les entreprises doivent l’aider dans la définition de ses rôles. Pour construire ensemble, il faut regarder les perspectives d’avenir en collaboration étroite avec ses partenaires.

Aujourd’hui plus que jamais, dans un contexte international tendu, nos entreprises doivent concevoir leurs développements dans de nouvelles perspectives. Pour cela, elles doivent reconsidérer leur rapport à l’Europe, la « penser mieux », car c’est aussi ainsi qu’elles seront reconsidérées à leur juste valeur, de la part des pouvoirs publics communautaires. Et réciproquement. L’Europe fait indubitablement partie des solutions qui permettront de recréer une compétitivité des entreprises françaises à l’échelle mondiale. Encore faut-il que leur communication et leur dialogue avec les institutions puissent se faire dans les meilleures conditions possibles.


[1] Enquête IPSOS / FairValue Corporate & Public Affairs, menée en 2008 auprès de 602 personnes constituant un échantillon représentatif des dirigeants d’entreprises françaises de plus de 100 salariés.